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Interviews d'experts

Comment une entreprise peut-elle lutter contre la sédentarité au travail ?

Interview de Hélène Escalon, chargée d'expertise scientifique en santé publique à Santé publique France, et auteure de la revue de littérature sur l'efficacité des interventions pour limiter la sédentarité en milieu professionnel, publiée en juillet 2023.
 Publiée le 04/06/2024

Avant de démarrer l'interview, Mme Escalon pose le contexte et revient notamment sur la définition de la sédentarité, « La notion de sédentarité est peu et, mal connue, tout comme ses effets sur la santé. Par définition, la sédentarité correspond au temps passé assis et non à une insuffisance d'activité physique. Ces deux notions ont d'ailleurs des effets presqu'indépendants sur la santé. La Haute Autorité de Santé1 définit la sédentarité (ou le comportement sédentaire) comme une situation d'éveil caractérisée par une dépense énergétique inférieure ou égale à 1,5 MET (dépense énergique proche de celle du repos) en position assise ou allongée2. Les temps sédentaires peuvent être observés dans différents lieux de vie et contextes : sur le lieu de travail pour les adultes, à l'école pour les enfants et les adolescents, à l'université pour les étudiants, dans les transports (voiture, transports en commun) ou encore lors des temps de loisirs, souvent associés aux écrans. »
 1. Haute Autorité de Santé , Guide des connaissances sur l'activité physique et la sédentarité, juillet 2022
 2. Tremblay MS, Aubert S, Barnes JD, Saunders TJ, Carson V, Latimer-Cheung AE, et al. Sedentary Behavior Research Network  (SBRN) – Terminology Consensus Project process and outcome. Int J Behav Nutr Phys Act. 2017;14(1):75. 
En quoi la réduction de la sédentarité est un enjeu de santé publique ?
Mme Escalon explique," Les effets de la sédentarité sur la santé sont aujourd'hui bien documentés dans la littérature scientifique mais peu connus du grand public. Pourtant ces effets délétères sont nombreux. A long terme, il est observé une augmentation du risque de la mortalité3 prématurée toutes causes confondues, du risque d'apparition de certaines pathologies comme les maladies cardiovasculaires4, le diabète de type 23, le cancer de l'endomètre, du colon ou encore du poumon5. Une corrélation existe également entre le temps passé assis et la santé mentale ou encore les troubles musculosquelettiques notamment pour les maux de dos. Il est important de préciser que les effets délétères de la sédentarité sont plus prononcés chez les personnes physiquement inactives6. Il est aussi essentiel de souligner que les risques de la sédentarité et les risques de l'inactivité physique peuvent se cumuler en termes de mortalité. Par ailleurs, au quotidien, les effets délétères d'une sédentarité élevée sont difficilement compensables par l'activité physique, du moins nécessiteraient un temps assez important d'activité physique. Pour limiter les effets de la sédentarité, un salarié cumulant 9 heures de temps passé assis par jour devrait pratiquer 1 heure et 1 heure 30 d'activité physique le même jour7. "
L'experte souligne une donnée encourageante, " Les bénéfices de l'interruption de la sédentarité sont prouvés dans la littérature scientifique, les résultats montrant des bénéfices sur des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires : amélioration du traux de glycémie, de la tension artérielle8. " Cette conclusion renforce l'importance du rôle de l'employeur dans la réduction et l'interruption des temps passés assis, associés à des bénéfices sur la santé des salariés.
 3. 2018 Physical Activity Guidelines Advisory Committee. 2018. "2018 Physical Activity Guidelines Advisory Committee Scientific Report." In, 779. Washington,D.C. 
 4. Katzmarzyk, P. T. 2010. 'Physical activity, sedentary behavior, and health: paradigm paralysis or paradigm shift?', Diabetes, 59: 2717-25. 
 5. Katzmarzyk, P. T., K. E. Powell, J. M. Jakicic, R. P. Troiano, K. Piercy, and B. Tennant. 2019. 'Sedentary Behavior and Health: Update from the 2018 Physical Activity Guidelines Advisory Committee', Med Sci Sports Exerc, 51: 1227-41. 
6. Biswas, A., P. I. Oh, G. E. Faulkner, A. Bonsignore, M. T. Pakosh, and D. A. Alter. 2018. 'The energy expenditure benefits of reallocating sedentary time with physical activity: a systematic review and meta-analysis', J Public Health (Oxf), 40: 295-303.
7.  Karzmarzyk PT, Ross R, Blair SN, Després JP. Should we target incresaed physical activity or less sedentary behavior in the battle against cardiovascular disease risk development? Atherosclerosis. 2020;311:107-15
8. Healy, G. N., C. E. Matthews, D. W. Dunstan, E. A. Winkler, and N. Owen. 2011. 'Sedentary time and cardio-metabolic biomarkers in US adults: NHANES 2003-06', Eur Heart J, 32: 590-7. 
Les recommandations du PNNS en termes de réduction de temps passés assis sont-elles atteintes chez les adultes ?
Le Programme National Nutrition Santé (PNNS) recommande au français de limiter le temps passé assis au quotidien et de rompre la sédentarité en se levant au moins toutes les deux heures. 
Mme Escalon précise, " Il est difficile de mesurer la première recommandation, les études classent le plus souvent le temps passé assis supérieur à 7 heures par jour comme un niveau élevé de sédentarité." 
Elle poursuit en présentant quelques données issues du Baromètre santé de Santé publique France de 2021 :  " Plus d'un adulte sur 5 déclare un niveau de sédentarité élevée (plus de 7 heures par jour passé assis) et plus de 9 adultes sur 10 déclarent respecter la recommandation du PNNS de se lever au moins toutes les deux heures en cas de temps prolongé passé assis."
Enfin, l'experte fait référence à l'étude Esteban :  "On observe une tendance à l'augmentation du temps passé devant les écrans, qui serait le plus souvent assis. Alors qu'en 2006, 53% des adultes déclaraient passer 3 heures ou plus devant un écran chaque jour en dehors de toute activité professionnelle, ils étaient 80% en 2015.9 "
 9.Étude de santé sur l'environnement, la biosurveillance, l'activité physique et la nutrition (Esteban 2014-2016) - Volet Nutrition. Chapitre Activité physique et sédentarité. 2e édition
    Pouvez-vous nous présenter la revue de littérature publiée par Santé publique France en juillet 2023 ?
    Les effets de la sédentarité, distincte du manque d'activité physique, sont peu ou mal connus du grand public. Les personnes travaillant assis dans un bureau ont un niveau élevée de sédentarité souvent caractérisée par un temps passé assis prolongé et ininterrompu. C'est pour cette raison que Santé publique France a publié une revue de littérature sur l'efficacité des interventions pour limiter la sédentarité en milieu professionnel. Cette revue a pour but de promouvoir auprès des entreprises des interventions de lutte contre la sédentarité efficaces. 
    Hélène Escalon détaille alors la méthode utilisée pour la sélection des 28 études qui figurent dans la revue : " Ont été sélectionnées uniquement les études datant de moins de 10 ans et évaluant les effets des interventions visant à réduire la sédentarité, appréhendée essentiellement par le temps passé assis dans le cadre professionnel. Les critères d'efficacité des études étaient les effets des interventions sur la santé physique, la santé mentale, le temps passé assis des employés mais aussi les critères intéressants pour les employeurs : la performance et la productivité des employés. Globalement, les interventions se sont montrées efficaces, entraînant une réduction du temps passé assis et des effets bénéfiques sur la santé des salariés. " 
    Revue de littérature sur l'efficacité des interventions pour limiter la sédentarité en milieu professionnel

     
    Quelles sont les stratégies d'intervention pour lutter contre la sédentarité sur le lieu de travail identifiées dans cette revue scientifique ?

    " Les critères analysés ont permis d'identifier trois types de stratégies d'intervention : individuelles, environnementales et politiques. Ces stratégies sont définies dans la revue. Les stratégies multicomposantes qui combinent ces trois stratégies permettent d'avoir les effets les plus importants." 

    STRATEGIES INDIVIDUELLES & MOTIVATIONNELLES : des stratégies reposant sur l'information et la motivation des individus (sessions d'éducation, information par affiches, flyers, messages sur ordinateurs, envoi d'alertes pour interrompre le temps assis, suivi du comportement, entretiens motivationnels, etc.)

    STRATEGIES ENVIRONNEMENTALES : un changement de l'environnement de l'entreprise (mise en place de « mobilier actif » tel que les bureaux « assis-debout », les bureaux avec pédalage, sur tapis roulant, etc.) 

    STRATEGIES ORGANISATIONNELLES : un changement de la politique de l'entreprise (soutien managérial, managers ambassadeurs, mise en place de réunions debout, d'heures de pauses actives).
    Quels sont leurs bénéfices pour l'entreprise et les impacts sur les salariés ? 

    Mme Escalon explique " Toutes les stratégies se sont relevées efficaces sur les indicateurs de santé du salarié en particulier une réduction des facteurs de risques de maladies cardiovasculaires et de diabète, une amélioration des taux de cholestérol LDL et HDL,  une réduction de la pression artérielle, etc.
    La stratégie la plus efficace pour limiter le temps passé assis est celle basée sur les interventions multicomposantes et en particulier celles qui intègrent la mise en place de mobiliers actifs comme des bureaux assis-debout10. Par ailleurs, la revue a montré que la mise à disposition de bureaux assis-debout individuels était plus efficace que celle des bureaux assis-debout collectifs (à partager). Il a été observé que les bureaux assis-debout ne réduisent pas la performance ni la productivité au travail.11  "

     10. Nguyen, P., L. K. Le, D. Nguyen, L. Gao, D. W. Dunstan, and M. Moodie. 2020. 'The effectiveness of sedentary behaviour interventions on sitting time and screen time in children and adults: an umbrella review of systematic reviews', Int J Behav Nutr Phys Act, 17: 117. 
    11. Chambers, A. J., M. M. Robertson, and N. A. Baker. 2019. 'The effect of sit-stand desks on office worker behavioral and health outcomes: A scoping review', Appl Ergon, 78: 37-53. 

    Au-delà des résultats constatés dans la revue, iI est important d'inclure l'ensemble des salariés dès le début de la démarche en les questionnant sur leurs besoins et leurs attentes afin qu'ils adhèrent plus facilement à celle-ci. Il est également indispensable d'intégrer les acteurs clés de la santé au travail (services des ressources humaines, de la santé au travail, des représentants du personnel etc.) dans le diagnostic, le déploiement et l'évaluation des actions mises en place. Cette méthode permet à l'employeur d'éviter d'adopter une stratégie descendante auprès de ses salariés

     
    Quels sont les bénéfices des différents types de mobilier actif ?
    " La revue de Santé publique France a permis de mettre en lumière une étude12  dont le but était de comparer 3 types de mobilier actifs en termes d'effets sur le temps passé assis, la santé, la productivité et la performance cognitive :
    • Postes de travail avec pédalage : ils augmentent l'intérêt et réduisent l'ennui à accomplir une tâche, comparés aux postes de travail debout. En outre, ils augmentent la mémoire à court terme et l'attention en comparaison des postes de travail debout ou sur tapis roulant.
    • Bureaux sur tapis roulant : comparés aux bureaux en station debout, ils peuvent influencer positivement plusieurs composantes psychologiques liées à l'environnement de travail : réduction du stress lié à la tâche réalisée, augmentation de l'intérêt, diminution du sentiment d'ennui et augmentation du sentiment de satisfaction de la tâche réalisée. En revanche, la performance des tâches motrices exécutives, telles que la frappe ou le pointage de la souris, est réduite.
    • Bureaux en position debout ou bureaux assis-debout : contrairement aux postes de travail avec tapis roulant, la posture verticale des postes de travail debout ne modifie pas les tâches exécutives de bureau telles que la frappe et le pointage de la souris. De plus, les postes de travail debout ne réduisent pas l'efficacité des tâches informatiques. En outre, les études suggèrent que, globalement, les postes de travail debout n'altèrent pas les performances cognitives. 
     ", cite l'experte.

     12.Dupont, F., P. M. Léger, M. Begon, F. Lecot, S. Sénécal, E. Labonté-Lemoyne, and M. E. Mathieu. 2019. 'Health and productivity at work: which active workstation for which benefits: a systematic review', Occup Environ Med, 76: 281-94. 
     
    Quelle(s) action(s) un employeur peut-il mettre en place pour lutter contre la sédentarité avec peu de moyens financiers ? 
    Mme Escalon rappelle, "Si les moyens financiers le permettent, le bureau assis-debout reste une intervention efficace pour réduire le temps passé assis des salariés sans impacter leur productivité ni leur performance.  A moindre coût, l'employeur peut également mettre en place des plateaux réglables posé sur le bureau afin de surélever l'ordinateur et permettre aux personnes de travailler assises ou debout. Des pédaliers sous le bureau peuvent aussi être fournis. L'effet des Swiss Ball n'a pas été analysé dans la revue car aucune étude ne s'y référait.  " puis, elle complète, " Pour mettre en place des actions avec un budget réduit, l'employeur peut, en seconde intention, déployer des interventions en utilisant des stratégies individuelles et motivationnelles qui permettent d'avoir une réduction du temps passé assis à moyen terme (jusqu'à 12 mois) pour inciter les personnes à changer leur comportement. Ce type de stratégies a l'avantage d'être diffusables facilement à l'ensemble des employés.13 " 
     13. Michie, S., C. Abraham, C. Whittington, J. McAteer, and S. Gupta. 2009. 'Effective techniques in healthy eating and physical activity interventions: a meta-regression', Health Psychol, 28: 690-701. 
    Pour finir, quel message clé souhaitez-vous nous transmettre ?

    Mme Escalon insiste de nouveau, 
    " Les effets de la sédentarité sont peu connus et sont rarement considérés comme un risque professionnel. Il est très important d'informer les employeurs sur ces effets puisqu'un de leur rôle est de préserver la santé des leurs employés. Mener des interventions pour lutter contre la sédentarité, dont l'efficacité est largement prouvée scientifiquement, serait un levier efficace pour réduire le temps passé assis des personnes travaillant assis dans des bureaux et ainsi augmenter à la fois leur qualité de vie et leur santé à long terme sans altérer leur productivité et leur performance au travail. Certaines interventions permettent même d'augmenter l'intérêt du salarié à effectuer une tâche tout en diminuant l'ennui.  "  
    Elle conclut, " Les études ont montré que la stratégie multicomposante intégrant du mobilier actif, en particulier des bureaux assis-debout était la plus efficace. La mise en place de mobilier actif doit bien sûr être accompagnée de sensibilisation, d'information et de formation des employés et des acteurs de la santé au travail. »  "  

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