Comment réinventer la prévention santé par le jeu ?
Les collectivités et entreprises engagées dans la charte du PNNS, et plus largement, les structures qui oeuvrent en matière de prévention en nutrition santé, mettent en place des actions d'éducation pour la santé auprès de différents publics.
Par définition, un serious game, ou jeu sérieux, est un mélange entre un contenu sérieux et un scénario ludique. Il peut s'agir d'un outil d'apprentissage avec ou sans des ressources multimédia comme les images, le son et la vidéo. Cette transposition ludique d'une problématique complexe avec des enjeux sérieux permet d'informer, de communiquer, d'éduquer et également d'entraîner. Utiliser la ludopédagogie dans le cadre d'actions d'éducation pour la santé aurait-il davantage d'impacts que des actions plus « classiques » ? Pour répondre à cette question, le Réseau d'Acteurs du PNNS a interviewé Julian Alvarez, Phd en Sciences de l'Information et de la Communication, spécialisé en Ludopédagogie, Serious Game & Gamification chez Immersive Factory et à l'Université de Lille.
Qu'est-ce que la ludopédagogie ? Quel rôle cette méthode peut-elle jouer dans l'éducation pour la santé ?
- contextualiser un propos par des exemples concrets grâce au jeu,
- faire vivre des expériences en utilisant les émotions,
- mobiliser des interactions sociales et faciliter le dialogue entre les participants,
- faire prendre du recul aux joueurs,
- mieux se connaître soi-même et connaître les autres,
- atteindre des objectifs utilitaires divers et variés.
Comment l'appliquer dans le cadre d'une action de prévention en nutrition (alimentation, activité physique, lutte contre la sédentarité) ?
L'expert insiste sur le fait que : "le jeu repose essentiellement sur une motivation intrinsèque c'est-à-dire que la personne doit se motiver soi-même à jouer. C'est donc un moyen s'inscrivant dans une panoplie de solutions, mais qui n'est pas toujours autonome et qu'il faut donc accompagner. Par exemple, les jeux vidéo disponibles sur les consoles de détection des mouvements peuvent sensibiliser les enfants à bouger mais ils auront tendance à se détourner du jeu et à abandonner s'ils ne sont pas accompagnés sur la durée. Cet accompagnement permet ainsi :- d'engager le joueur,
- d'entretenir la motivation à jouer,
- et d'éviter la lassitude au fil du temps.
M. Alvarez souligne l'exemple d'une application à succès qui a permis à de nombreux français d'entretenir leur motivation à marcher quotidiennement : un jeu en réalité augmentée où le joueur dirige un avatar sur une carte utilisant sa géolocalisation. Le joueur doit ainsi se déplacer avec son téléphone pour se déplacer dans le jeu. Il précise :"Certains joueurs ont installé cette application dans le but d'augmenter leur activité physique via la marche et ont finalement été pris par le jeu grâce à l'univers et les missions du jeu. En revanche, l'omniprésence de l'écran pendant ce temps de marche limite les interactions sociales et avec l'environnement du joueur. ", puis averti, "tous les jeux présentent des avantages et des inconvénients selon leurs modalités. "
Il ajoute : "Il est ainsi important de choisir le type de jeu en cohérence avec les objectifs pédagogiques. Il est également pédagogiquement intéressant de concevoir des jeux en suivant les phénomènes de mode : un Qui veut gagner des millions nutrition pour améliorer ses connaissances, un Top Chef santé pour apprendre à cuisiner sainement, un Mask Singer de la danse pour promouvoir l'activité physique etc. Pour terminer, le jeu permet surtout de mettre en situation le joueur, de travailler sa réflexion et sa mémorisation, d'utiliser ses émotions… facilitant ainsi l'apprentissage chez l'adulte et chez l'enfant. "
Escape NutriGame®
En tant que collectivité ou entreprise engagée dans la charte du PNNS, comment sensibiliser par le jeu ?
" Un travail en amont doit être réalisé par les acteurs avant le lancement d'une action par le jeu. Afin d'optimiser les impacts, la démarche doit être :- sincère : les directions et professionnels doivent être convaincus des bénéfices de la ludopédagogie
- réfléchie : Pourquoi choisir le jeu ? Le jeu est-il utile dans le contexte dans lequel il est déployé ? Quelles autres solutions ont déjà été testées au sein de la structure ? Le jeu a-t-il déjà été déployé ? Si oui, quels ont été les résultats ? Des jeux sont-ils déjà disponibles sur le sujet ? Si non, comment le concevoir ?
- ciblée : établir le profil des joueurs permet d'adapter le jeu à la cible et limite les effets contre-productifs du jeu
- évaluée dès sa conception afin de pouvoir mesurer la démarche dès son lancement
- justifiée grâce à un argumentaire solide permettant de convaincre et rassurer le public cible qui adhèrera plus facilement au jeu et à la démarche
- inclusive en intégrant si possible des futurs joueurs dans la conception et/ou le déploiement du jeu
- tolérante en acceptant tous les profils de joueurs invités et les potentiels refus de jouer tout en offrant une alternative pour ces joueurs. "
Sur quelles ressources s'appuyer pour mettre en place une action d'éducation pour la santé par le jeu ?
Dans un premier temps, M. Alvarez aborde les différents accompagnements disponibles : " Les structures peuvent faire appel à des professionnels spécialisés dans la ludopédagogie pouvant les accompagner : des syndicats (comme le Syndicat Français des Serious Game Designer) en mesure de renseigner sur ce sujet et guider vers le bon interlocuteur. Il est également possible de solliciter le monde académique, les grandes institutions publiques et/ou le monde de la recherche pour mobiliser leurs expertises et être éventuellement soutenu dans la recherche de financement. Des aides régionales, nationales et européennes peuvent financer ou accompagner les structures dans leur projet. Également, les pôles de compétitivité régionaux, comme le service valorisation de l'université de Lille par exemple, peuvent guider les structures dans leur démarche et les aider à obtenir des financements. Enfin, les sociétés d'accélération, de technologie et de transfert (SATT) qui assurent le relais entre les laboratoires de recherche et les entreprises et financent les phases de maturation des projets et de preuve de concept peuvent aussi être un appui. Elles accompagnent les structures dans le déploiement d'un projet ou encore dans le dépôt d'un brevet. "
Dans un second temps, l'expert insiste sur la mise en place d'un process de formation : " Les structures doivent s'appuyer sur des acteurs clés afin de former les professionnels à la ludopédagogie. Cette étape est indispensable pour déployer des actions efficaces, concevoir un jeu ou une animation"
Guide « Comment financer des projets favorables à la santé ?»
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Quels sont les freins à prendre en compte pour mettre en place une activité ludopédagogique sur le lieu de travail ?
- Le refus de jouer, les acteurs du projet se doivent d'accepter le refus de jouer et de proposer une alternative en faisant participer ces publics grâce à un rôle d'observateur puis en les intégrant dans le débriefing par exemple.
- La résistance de certains participants au jeu liée à leur histoire, leurs expériences, leur niveau de confiance en soi, leurs émotions, etc. La formation des animateurs à l'écoute apparaît donc comme indispensable afin qu'ils soient ouverts et en capacité de comprendre les joueurs.
- Le désintérêt des participants pour la cause ou pour le jeu car il n'est pas en adéquation avec le public ou le contexte. Bien s'informer sur le public cible devient donc une étape incontournable dans la préparation de la démarche.
- La gestion des émotions, en particulier si le jeu est déployé dans le cadre d'un contexte difficile. En effet, le jeu peut contrebalancer les peurs et le stress déjà présents dans le monde du travail ou en lien avec le profil des participants. Le choix du jeu et des objectifs est ainsi crucial dans ces conditions.
Comment convaincre les employeurs de la pertinence de mener des actions autour de la prévention en nutrition-santé sur le lieu de travail ?
L'expert répond, " Il est crucial de co-construire le projet avec l'entreprise. Pourtant, il faut d'abord convaincre les directions de la pertinence de mener ces actions avec un argumentaire solide :
- Rassurer l'interlocuteur sur les bénéfices et les intérêts d'instaurer la ludopédagogie dans une démarche en s'appuyant sur les projets et les jeux déjà existants.
- Adapter le jeu et ses impacts à la démarche et au contexte du projet.
- Sonder la motivation et les intentions des acteurs de la démarche en passant par la direction jusqu'au salarié.
- Sensibiliser par un pair en utilisant le témoignage d'une autre direction déjà convaincue et ayant déjà testé cette démarche.
- Indiquer que le jeu ne porte pas seul le projet mais qu'il est un outil nécessitant un accompagnement et une intégration dans une démarche globale. "
Avez-vous des exemples concrets d'actions de prévention en nutrition-santé déjà mises en place par des structures auprès de leurs collaborateurs ?
Le jeu sérieux Carte sur table
Pour conclure, avez-vous un dernier conseil à transmettre ?
L'expert conclut :